
Les jeux vidéo se politisent de plus en plus, une étude pointe du doigt cette tendance et les risques pour l'industrie...
par Eric de BrocartL’étude de l’Observatoire Européen des Jeux Vidéo (OEJV) met en évidence la politisation croissante du jeu vidéo, désormais enjeu de tensions idéologiques. À travers plusieurs polémiques récentes, ce rapport démontre comment l’industrie du jeu vidéo est devenue un champ de bataille des guerres culturelles, influencée par des débats sociaux, politiques et moraux.
Contexte général : le jeu vidéo comme nouvel enjeu idéologique
Autrefois considéré comme un simple loisir, le jeu vidéo est aujourd’hui un médium culturel influent, capable de refléter ou de façonner des normes sociales. Cette évolution a conduit à une division entre deux visions opposées :
- Les progressistes, qui revendiquent davantage de diversité, d’inclusion et une prise en compte des enjeux sociétaux (féminisme, LGBTQ+, écologie).
- Les conservateurs, qui estiment que le médium est trop politisé et que certains studios sacrifient la créativité au profit d’un agenda idéologique.
Les réseaux sociaux (X/Twitter, YouTube, Reddit) jouent le rôle de caisse de résonance : l’effet de chambre d’écho y renforce la radicalisation des opinions et éclipse parfois les aspects purement techniques ou artistiques des jeux.
Analyse des jeux vidéo controversés en 2024
L’OEJV s’est penché sur cinq cas emblématiques de jeux qui ont cristallisé des tensions culturelles.
Cas #1 – Stellar Blade : hypersexualisation ou liberté artistique ?
- Problème : La représentation de l’héroïne, Eve, accusée d’être hypersexualisée.
- Débat :
- Les militants progressistes dénoncent une vision dépassée de la femme dans le jeu vidéo.
- Les défenseurs (notamment en Asie) évoquent une expression artistique spécifique aux codes esthétiques coréens.
- Impact : Clivage géographique marqué entre les sensibilités occidentales progressistes et les standards asiatiques, où la sexualisation est perçue différemment.
Cas #2 – Black Myth: Wukong : un jeu chinois érigé en symbole conservateur
- Problème : Le jeu est acclamé par certaines communautés conservatrices américaines, qui y voient une alternative aux productions occidentales jugées « wokes ».
- Débat :
- Le studio est critiqué pour avoir imposé des règles strictes aux influenceurs (interdiction de parler de féminisme, de politique ou du COVID-19).
- Certains estiment que ce jeu participe au soft power chinois pour concurrencer l’influence occidentale.
- Impact : Opposition entre une vision traditionnelle de la culture chinoise et les attentes de certains joueurs occidentaux en matière de diversité.
Cas #3 – Assassin’s Creed Shadows : la polémique autour de Yasuke, un samouraï noir
- Problème : L’intégration de Yasuke, un samouraï africain historique, est perçue par certains comme une décision « woke ».
- Débat :
- Critiques conservatrices : accusation de réécriture historique et d’inclusion forcée.
- Défense du studio : Ubisoft rappelle que la licence a toujours mélangé histoire et fiction.
- Impact : Exemple où un débat idéologique prend le pas sur les aspects purement ludiques.
Cas #4 – Dragon Age: The Veilguard : identité de genre et rejet conservateur
- Problème : La mise en avant de personnages LGBTQ+ dans la narration a suscité un appel au boycott.
- Débat :
- Les partisans du jeu saluent son engagement en faveur de la diversité.
- Les détracteurs dénoncent une politisation forcée et une perte de l’ADN originel de la saga.
- Impact : La représentation des minorités devient un critère clé pour certains joueurs, influençant directement leurs décisions d’achat.
Cas #5 – Helldivers 2 : la politique comme moteur d’engagement
- Problème : Le jeu intègre une satire politique dans son gameplay et sa communication marketing.
- Débat :
- Certains y voient une critique ironique du militarisme et de l’impérialisme.
- D’autres y perçoivent un message conservateur pro-militaire.
- Impact : Une ambiguïté qui a permis au jeu de séduire différentes franges idéologiques.
Facteurs amplificateurs des tensions (réseaux sociaux) :
- Plateformes clés : X/Twitter, YouTube, Reddit, etc.
- Effet de bulle : Les algorithmes favorisent la radicalisation et enferment les utilisateurs dans des écosystèmes de croyances.
- Rôle des influenceurs : Certains créateurs de contenu exploitent les polémiques pour accroître leur audience.
3.2. Le soft power et la géopolitique du jeu vidéo
- Chine : Utilisation du jeu vidéo pour renforcer son influence culturelle et contrer les normes occidentales.
- États-Unis / Europe : Les débats autour de la diversité, de l’inclusion et du rejet des politiques DEI (Diversity, Equity, Inclusion) rythment les discussions.
Implications pour l’industrie et la société
L’OEJV souligne que ces controverses ne sont pas des débats de niche, mais le reflet de fractures sociétales plus larges.
- Un risque économique pour l’industrie ?
- Les éditeurs doivent jongler entre l’attente d’une plus grande inclusion et le rejet d’une partie du public.
- Les boycotts peuvent impacter les ventes, mais les polémiques offrent aussi une médiatisation gratuite.
- Une régulation européenne à venir ?
- L’OEJV critique le manque de reconnaissance du jeu vidéo dans les politiques culturelles européennes.
- Une éventuelle régulation des contenus pourrait voir le jour, à l’image des systèmes de classification (PEGI) qui prennent déjà en compte la violence, la sexualité, etc.
Conclusion : un médium sous tension, mais en pleine mutation
Le rapport de l’OEJV montre que le jeu vidéo est désormais un médium culturel aussi influent que le cinéma ou la littérature. Il devient le théâtre de batailles idéologiques, où inclusion, diversité et soft power sont des enjeux majeurs. Les vrais défis à venir sont de savoir s'il est encore possible de « dépolitiser » le jeu vidéo, dans quelle mesure les studios doivent anticiper ou gérer ces tensions dans leurs choix artistiques et si le jeu vidéo doit bénéficier d’une protection ou d’une réglementation spécifiques au niveau européen.
L’industrie devra trouver un juste équilibre entre engagement et neutralité pour satisfaire un public toujours plus clivé. Cette capacité d’adaptation déterminera en partie l’avenir d’un secteur en constante évolution.